notes pour mon biographe
"Graham...
- Tu veux savoir comment c'est? dit-il. Je vais te
le dire. C'est une angoisse permanente à l'idée qu'un jour il me
quittera. Et tu veux savoir pourquoi? ça n'a rien à voir avec le
fait d'être gay. C'est parce que je sais que maman t'a
quitté. Je te dis que c'est égoïste de ne pas prendre de médicaments
parce que je suis bien placé pour le savoir. Parce que j'en prends. Tu
saisis, papa ? C'est en moi aussi. Je ne veux pas qu'Eric me trouve sur
un parking en pleine nuit, en train de parler en pyjama à un inconnu,
comme c'est arrivé à maman.
(...)
- Mais le feu, Graham ? Que fais-tu du feu ?
(...)
-
Tu vois, Graham, il y aura quatre boutons. Les lignes entre eux
formeront une croix. Et chaque bouton actionnera une série de roulettes
à l'intérieur de la porte elle-même, et il y aura quatre séries de
charnières, une le long de chaque côté mais fixée seulement au cadre,
pas à la porte. " Je les ajoute au croquis. Graham pleure. "Chaque
bouton permettra d'ouvrir la porte dans la direction qu'on voudra - à
droite ou à gauche, en haut ou en bas. Quand un bouton sera tourné, il
poussera les vis de la porte dans les charnières. On pourra ouvrir une
porte près d'une fenêtre sans masquer la lumière du matin ou du soir,
transporter des meubles avec la porte au dessus de la tête, sans jamais
rayer sa peinture, et quand on voudra voir le ciel, on pourra l'ouvrir
un peu en haut..." Je dessine sur le mur de plus petits croquis de la
porte dans différentes positions, jusqu'à ce que la pointe en feutre du
marqueur soit complètement écrasée. "C'est un cadeau pour toi, cette
porte. Je regrette qu'elle ne soit pas réelle. Mais tu peux imaginer le
plaisir qu'auraient sûrement les gens à décider comment la franchir."
(Adam Haslett, Vous n'êtes pas seul ici, 2005)
...